Vrai ou Faux ?
Garder le bébé sur un seul sein par tétée
permet qu’il accède au lait gras de fin de tétée
Les mères font souvent appel à moi pour les accompagner quand leur bébé ne prend pas suffisamment de poids au sein.
Lorsque j’échange avec celles-ci, j’entends fréquemment qu’elles gardent leurs bébés sur un seul sein par tétée parce qu’elles ont lu, ou on leur a dit, que garder le bébé sur un sein par tétée permet à celui-ci d’accéder au lait gras « de fin de tétée », ce qui l’aidera à prendre du poids. Je vous propose d’explorer cette recommandation et son intérêt pour la mère et le bébé.
Les études confirment bien que plus une tétée progresse, plus le lait devient gras1. En effet, les globules de gras dans le lait ont tendance à s’agglutiner sur les parois des canaux lactifères. C’est donc quand le bébé se met à téter que le mouvement du lait dans les canaux entraîne ce gras. C’est probablement un peu comme quand on ouvre un robinet d’eau chaude2 : l’eau froide arrive d’abord et entraîne l’arrivée de l’eau chaude peu après.
En réalité, il est impossible de déterminer un moment précis pendant la tétée où le lait devient plus gras. De plus, les études montrent que le pourcentage de gras dans les seins varie beaucoup selon le moment de la journée, le sein utilisé, la fréquence des tétées et selon les mères3. Bien qu’il existe certaines situations où il est tout à fait approprié de garder un bébé sur un seul sein par tétée, en général, et surtout les premières semaines, cela pourrait entraîner une faible prise de poids. En effet, les bébés prennent du poids en fonction du volume de lait total qu’ils boivent sur 24 heures et non uniquement en fonction de la quantité de gras qu’ils consomment4.
Pour cette raison, il peut être intéressant de proposer en alternance les deux seins à chaque tétée pour permettre au bébé de faire le plein de lait afin qu’il prenne du poids. Les mères ont donc tout intérêt à rester dans l’observation de leurs bébés pour savoir à quel moment alterner : quand le bébé tète un premier sein puis, au bout d’un moment, s’agite, se met à pleurer ou même s’endort, le moment est propice pour proposer l’autre sein. Le changement de position et la nouvelle prise de sein vont l’inciter à téter de nouveau et vont, par la suite, stimuler la production de lait en vidant le sein. Une étude a même trouvé qu’un réflexe d’éjection de lait (l’expulsion de lait par le sein dans la bouche du bébé peu de temps après que le bébé se met à téter) peut transférer jusqu’à 45% du lait disponible dans le sein5 !
Finalement, le lait est bénéfique et nourrissant pour le bébé à chaque moment de la tétée. Ainsi, c’est surtout le volume de lait total plutôt que sa teneur en gras en fin de tétée qui contribuera à une bonne prise de poids.
© 2019 Margaret Dickason-Clar, Consultante en lactation IBCLC
Édité par Julie Clar
Références
1. Mitoulas LR, Kent JC, Cox D, Owens R, Sherriff J, Hartmann P. Variation in fat, lactose and protein in human milk over 24h and throughout the first year of lactation. British Journal of Nutrition. 2002; 88 : 29-37.
2. Carol Smyth, Consultante en lactation IBCLC.
3. Kent JC, Mitoulas LR, Cregan MD, Ramsay DT. Volume and frequency of breastfeeds and fat content of breastmilk throughout the day. Pediatrics. Mars 2006; 117 (3) : 394.
4. Mitoulas L, Kent JC, Cox D, Owens R, Sherriff J, Hartmann P. Variation in fat, lactose and protein in human milk over 24h and throughout the first year of lactation. British Journal of Nutrition. 2002; 88 : 29-37.
5. Ramsay et al. Milk flow rates can be used to identify and investigate milk ejection in women expressing breastmilk using an electric pump. Breastfeeding Medicine. Mars 2006; 1(1) : 14-23.
Cas clinique : quand la mère produit trop de lait
La production trop abondante de lait peut être tout aussi difficile à vivre pour une mère que la situation inverse où elle ne produit pas assez de lait. C’est une situation que je rencontre régulièrement chez des mères, qui, souvent, ne se sentent pas assez écoutées. En effet, comme on en parle peu, les professionnels et l’entourage de la mère peuvent avoir tendance à minimiser les difficultés de celle-ci en lui disant qu’il vaut mieux avoir trop de lait que pas assez.
Je vois la future mère de Fanny en prénatal pour échanger sur son allaitement précédent et préparer au mieux l’arrivée de Fanny, son deuxième enfant. Lors de l’allaitement de son premier enfant, elle a souffert d’une hyperlactation dont une des conséquences était des engorgements à répétition. Par manque d’accompagnement concernant la mise au sein, son premier allaitement a alors fini en tire-allaitement, une technique qui consiste à tirer son lait avec un tire-lait pour le proposer au bébé par un autre moyen que le sein.
Fanny naît à terme par césarienne et pèse 3,640 kilogrammes. Comme la mère avait été déstabilisée par les discours multiples et divergents des équipes pendant son séjour à l'hôpital pour son premier enfant, cette fois-ci, elle repousse gentiment tout le monde afin de mettre tranquillement en place son deuxième allaitement.
Je vois Fanny et sa mère une semaine plus tard et je constate une bonne prise de poids et aucune particularité au niveau de la succion du bébé. La mère me raconte qu’elle a du mal à trouver des positions qui conviennent à la fois à elle et à Fanny et qu’en conséquence, elle a des crevasses aux mamelons. Je lui propose différentes positions et elle finit par en trouver une qui est confortable pour elle et son bébé. La mère met en place une compresse hydrogel1 pour aider à la cicatrisation des mamelons. Elle est globalement contente du déroulement de cet allaitement même si elle sent que ses seins produisent déjà beaucoup plus de lait qu’il n’en faut à Fanny.
Je les revois un mois plus tard lors d’une réunion de soutien de mères allaitantes. Fanny continue à bien prendre du poids et sa mère à produire beaucoup de lait. Même après de bonnes tétées, ses seins deviennent rapidement tendus et elle raconte que si elle ne les draine pas, elle frôle un épisode d’engorgement sur un de ses seins, un désagrément souvent en lien avec une surproduction de lait. De plus, elle m’explique qu’afin d’assister à la réunion, elle a dû prendre un antidouleur tellement ses mamelons sont douloureux. En parallèle, Fanny souffre d'un érythème fessier2 et semble gênée au niveau de sa digestion. Je suggère ainsi à la mère de consulter son médecin traitant pour évoquer la possibilité d’une candidose mammaire3, ce qui pourrait aussi expliquer l'érythème de son bébé. En effet, une candidose peut être un problème sous-jacent à une hyperlactation. La mère consulte son médecin traitant qui ne pense alors pas que la mère souffre de candidose mammaire. Quelques jours plus tard, un muguet4 se développe dans la bouche du bébé ce qui pousse les parents à aller aux urgences pédiatriques. Le médecin des urgences propose un traitement pour le muguet et l'érythème fessier de son bébé et lorsque la mère rappelle la suspicion de candidose mammaire, il suggère de mettre le médicament ingéré par Fanny sur les seins si celle-ci le souhaite : soigner la mère n’était pas la priorité des urgences pédiatriques. La mère ne baisse pas les bras et décide de consulter un autre médecin qui est également Consultante en lactation IBCLC. Celle-ci confirme que le bébé et la mère ont tous les deux une candidose. Un traitement approprié est alors prescrit : retour au calme.
Une fois le traitement de la candidose mis en place, la mère souhaite essayer de baisser sa production de lait afin de se soulager un peu étant donné qu’en plus de la candidose elle continue à souffrir périodiquement d’engorgement sur un sein et doit tirer son lait certains jours pour éviter ce désagrément. Trois options se présentent à elle : pharmaceutique, phytothérapeutique et mécanique. Cette mère présente une hyper coagulation du sang, donc, certains principes actifs sont contre indiqués. Elle décide alors d’utiliser la méthode mécanique du drainage complet.5 Elle se sent rapidement soulagée et les sorties (selles et urines) de Fanny restent inchangées. Cette méthode a bien aidé la mère à ajuster sa production de lait.
A quatre mois et demi et 8,2Kg Fanny se porte à merveille. Quant à sa mère, lorsqu’elle sent qu’elle frôle un nouvel épisode d’engorgement, elle demande à sa fille de téter pour se soulager, prend un antidouleur, de l’homéopathie, et applique des feuilles de choux sur les seins pour se soulager. Le traitement pour la candidose a été diminué et en parallèle la mère a apporté quelques changements à son alimentation afin de modifier son terrain physiologique. La prochaine étape pour Fanny et sa mère sera l’entrée en crèche aux cinq mois de Fanny et, pour l’instant, la mère reste indécise quant à la poursuite de l’allaitement après la reprise de travail.
Un accompagnement rapproché a permis à ce couple mère-bébé de trouver un rythme de croisière pour l’allaitement.
© 2019 Margaret Dickason-Clar, Consultante en lactation IBCLC
Avec mes remerciements à la mère de Fanny
Références
1Alternativement, on peut utiliser des compresses de lait maternel pour la cicatrisation des mamelons.
2Fesses rouges et irritées.
3Une prolifération anormale d’un champignon microscopique, souvent le Candida albicans, qui provoque une douleur intense des mamelons et/ou des seins et qui est souvent associée à un changement d’aspect de la peau.
4Une candidose buccale.
5https://www.lllfrance.org/vous-informer/fonds-documentaire/dossiers-de-l-allaitement/1344-da-77-traitement-production-lactee-surabondant Cette technique consiste à utiliser un tire-lait double-pompage électrique en une fois pour vider, autant que possible, les deux seins. Ensuite, on propose les deux seins “drainés” au bébé qui peut téter jusqu’à satiété. Par la suite, la mère proposera un seul sein par tétée par tranches de trois heures. Au bout de ces trois heures, elle change de sein et le bébé tète celui-ci, également, par tranches de trois heures.
Mieux cerner « l’allaitement aux signes d’éveil »
L’allaitement « aux signes d’éveil » –appelé également l’allaitement « à la demande » - est une façon d’allaiter un bébé lorsque le bébé réclame ou fait signe qu’il voudrait téter. Le terme « l’allaitement aux signes d’éveil » a vu le jour pour contrer les injonctions données aux mères d’allaiter leurs bébés à horaires fixes. Il se veut plus respectueux des rythmes du bébé, différents selon chacun. Seulement, voilà, ce terme peut porter confusion dans plusieurs cas de figure.
Il sera important de rester vigilant les premières semaines et veiller à ce que votre bébé montre des signes d’éveil1 assez souvent pour avoir un apport suffisant de lait. Pour diverses raisons (prématurité, naissance un peu avant terme, jaunisse etc.), certains nouveau-nés peuvent être très somnolents les premières semaines de vie, ne pas se réveiller - ou ne pas montrer des signes d’éveil - assez souvent pour téter. Dans ce cas, ils peuvent avoir un apport de lait insuffisant pour bien prendre du poids. Avant d’en arriver là, vous pouvez vous baser sur les repères suivants :
• 8-12 tétées efficaces par 24 heures après la montée de lait.
• 5 à 6 couches (jetables) bien mouillées d’urine et jusqu’à 4-6 semaines un minimum de 3 selles abondantes par 24 heures.
• une reprise du poids de naissance vers le 10ème jour
• une prise de poids minimum de 210g2 par semaine (garçons et filles) les trois premiers mois.
Si le bébé a du mal à se réveiller pour téter ou s’endort très rapidement au sein vous pouvez
• le prendre en peau-à-peau afin de mieux repérer ses phases d’éveil,
• pratiquer la compression mammaire lorsque le bébé commence à s’endormir au sein,
• proposer plus d’un sein par tétée.
A l’autre extrême, il m’arrive de rencontrer des mères dont le bébé, toujours allaité selon les signes d’éveil, réclame si souvent qu’elles se sentent épuisées et ont l’impression de subir l’allaitement. Elles me disent que si elles avaient su que l’allaitement allait être si contraignant et si épuisant, elles ne se seraient pas lancées dans cette aventure. Dans ce cas, très souvent, il suffit de revoir un peu la gestion de l’allaitement pour optimiser les tétées :
• peut-on améliorer la prise de sein pour aider le bébé à avoir plus de lait quand il tète ?
• la technique de la compression mammaire, peut-elle aider le bébé à avoir plus de lait pendant la tétée ?
• peut-on proposer les deux seins à chaque tétée pour aider le bébé à avoir plus de lait et se sentir plus repu après les tétées ?
Un autre cas de figure est celui de la mère dont les seins sont très tendus et qui attend avec impatience que son bébé se réveille et tète pour se soulager. C’est probablement un bébé qui se porte très bien mais qui dort un petit peu plus longtemps à un moment donné. Afin de se soulager, la mère a tout intérêt à solliciter son bébé à téter en le prenant dans ses bras. Il suffit souvent de peu pour inciter un bébé à téter. En effet, les bébés ont plus de phases de sommeil léger que profond pendant lesquels ils peuvent facilement prendre le sein.
Les trois cas de figure décrits plus haut ont en commun l’importance que la mère agisse pour retrouver un équilibre. L’allaitement est une danse à deux où chacun dépend de l’autre pour avancer.
L’allaitement aux signes du bébé, oui, mais également aux signes de la mère !
© 2019 Margaret Dickason-Clar, Consultante en lactation IBCLC
Références
1 Le bébé montre les premiers signes qu’il est prêt à téter quand il se met à chercher le sein en tournant sa tête à gauche et à droite, en faisant les points cardinaux et en faisant une extension de la langue. Si on n’est pas disponible pour lui, il s’agitera de plus en plus et finira par pleurer, un signe tardif de la faim.
2 https://www.who.int/childgrowth/fr/
La vitesse de synthèse du lait
Comprendre comment les seins fabriquent du lait n’est pas toujours très simple et porte souvent à confusion. Un peu de lumière sur la vitesse de synthèse du lait, pourra, j’espère, contribuer à une gestion plus sereine de l’allaitement.
La production de lait
Pendant les premières semaines de vie du bébé, les mères profitent de deux mécanismes de production de lait qui fonctionnent de concert : le contrôle hormonal et le contrôle local (ou endocrine et autocrine pour les puristes). Après 4 à 6 semaines ces deux mécanismes continuent à travailler ensemble, mais c’est plutôt le contrôle local qui prend le dessus.
Le contrôle hormonal :
Des niveaux élevés de deux hormones, la prolactine et l’ocytocine, participent à la mise en place de la lactation. Ils continuent à jouer un rôle tout au long de la lactation.
Le contrôle local :
Quand le bébé tète et vide le lait du sein, la production de lait s’accélère. En effet, le lait contient un composant appelé le FIL1. Ce composant est secrété dans le lait et, quand il s’y accumule, il ralentit la vitesse de synthèse de lait. Lorsque le bébé draine les seins efficacement, le FIL s’évacue avec le lait, et la production se remet en marche.
Mais concrètement, au jour le jour, comment cela se passe-t-il ?
« Mes seins sont très remplis de lait. Je vais, donc, espacer plus les tétées pour ne pas trop stimuler ma production de lait » : Beaucoup de mères pensent que quand les seins sont très pleins et tendus, voire engorgés, cela constitue une preuve d’une production de lait abondante. Cette sensation de plénitude est trompeuse et pas fiable pour évaluer le volume de lait produit. Dans cette situation, à cause de la présence en grande quantité du FIL, c’est, paradoxalement, le moment où les seins produisent le moins de lait. Dans les heures qui suivent un engorgement important, une mère produira souvent moins de lait pour son bébé, puisque la vitesse de synthèse du lait était ralentie. Pour faire remonter la production de lait, il suffit de faire téter le bébé plus souvent pour évacuer le FIL. Il est donc toujours important de drainer les seins régulièrement afin d’entretenir une vitesse de synthèse du lait optimale.
« J’espace les tétées pour laisser le temps aux seins de se remplir de lait. » : Cette approche diminuera en fait la vitesse de synthèse du lait et mènera, par la suite, à une baisse du volume de lait disponible pour le bébé. Il n’est donc pas nécessaire d’attendre que les seins « se remplissent » de lait. Plus le bébé drainera efficacement et souvent les seins, plus la mère produira du lait en volume : « La vitesse de synthèse du lait est à son maximum quand le sein en contient le moins.»2
Pour avoir un volume de lait suffisant pour votre bébé, fiez-vous plus aux drainages efficaces et réguliers qu’à la sensation de plénitude des seins. Ceci permettra une vitesse de synthèse du lait adaptée.
© 2020 Margaret Dickason-Clar, Consultante en lactation IBCLC
Références
1 Inhibiteur rétroactif de la lactation (Feedback Inhibitor of Lactation)
2 Beaudry M, Chiasson S, Lauzière J.Biologie de l’allaitement. Presses de l’Université du Québec ; 2006. p.83.
Quel rôle de la Consultante en lactation certifiée IBCLC dans l'univers de l'accompagnement à l'allaitement ?
Si vous cherchez à vous informer sur l’allaitement ou si vous rencontrez des difficultés, vous pourriez alors vous demander à qui se fier pour avoir des informations justes et pertinentes pour votre situation. Je voudrais ici situer le rôle de la consultante en lactation dans l’univers du soutien à l’allaitement et comment il se différencie des autres types de soutien qui existent pour répondre à vos questions et vous accompagner dans votre projet d’allaitement.
Qu’est-ce que c’est qu’une consultante en lactation certifiée IBCLC1 ?
Une consultante en lactation certifiée IBCLC - ou une IBCLC (elles sont majoritairement des femmes) - est l’étalon-or de la gestion clinique de l’allaitement partout dans le monde. La consultante en lactation est experte dans le domaine de l’allaitement et de la lactation humaine avec une grande expérience clinique. Elle est capable d’accompagner les familles sur tous les aspects de l’allaitement, de l’étape prénatale jusqu’au sevrage, en passant par tout type de situation. La consultante en lactation peut être une professionnelle de santé qui travaille dans un hôpital, une PMI, une crèche, une pharmacie etc. Ou elle peut être, comme moi, indépendante. Ce statut me permet d’accorder plus de temps aux familles.
En quoi consiste la formation de consultante en lactation certifiée IBCLC ?
Une consultante en lactation IBCLC reçoit un minimum de 90 heures de formation universitaire spécifique en lactation (j’ai bénéficié de 194h de formation) qui traite différents sujets (pathologie, physiologie, endocrinologie, pharmacologie, toxicologie, psychologie,…) tout au long de 11 périodes chronologiques de la préconception au sevrage. Elle aura également un minimum de 1000 heures de pratique clinique. Pour ma part, l’organisme qui m’a formée (le CREFAM) nous a également demandé de réaliser un mémoire ainsi que 44 heures de stages auprès de consultantes en lactation confirmées. Enfin, pour pouvoir être accréditée, la consultante doit passer un examen qui valide ses compétences. Une fois accréditée, elle doit suivre 75 heures de formation continue tous les 5 ans pour pouvoir continuer à exercer son métier.
Qu’en est-il de l’accompagnement en allaitement par des professionnels de santé ?
Vous trouverez sans doute beaucoup de bonne volonté et de bienveillance auprès des professionnels de santé qui entourent la périnatalité : sage-femmes, puéricultrices, auxiliaires de puériculture, pédiatres et gynécologues. Ces professionnels ont reçu quelques heures de formation sur l’allaitement pendant leur formation initiale. Comme il n’y a pas d’obligation pour ceux-ci de se tenir à jour sur le sujet, certains peuvent rester sur des acquis datés. Il existe le « Diplôme inter-universitaire lactation humaine et allaitement maternel » que certains professionnels motivés peuvent passer. Si vous demandez des conseils en allaitement à un professionnel de santé, n’hésitez pas à vérifier s’il a ce diplôme ou celui de consultant en lactation IBCLC, gage d’informations fiables et à jour. En 2017, le WBTi2 a évalué les compétences des services de santé français en allaitement à 5,5/103. En effet, l’état des connaissances en allaitement a beaucoup évolué depuis les vingt dernières années grâce à un élan d’études scientifiques.
Ne puis-je pas m’appuyer sur mon entourage proche pour m’accompagner dans mon projet d’allaitement ?
En tant que femme allaitante, vous avez droit à une multitude de conseils divers et variés, souvent contradictoires, de votre entourage proche (amies, amies des amies, tante, mère, grand-mère de 86 ans, beau-père,… boulangère !), sans compter, bien sûr, de l’ensemble des avis partagés sur les réseaux sociaux. Tout le monde semble avoir un avis sur l’allaitement et surtout sur le vôtre ! Certaines mères peuvent se trouver très bien accompagnées et entourées par leurs proches. Les études montrent, par exemple, que le soutien du père est primordial pour un allaitement serein. Par contre, on peut parfois entendre des commentaires qui nous touchent et nous blesse au plus profond de nous à un moment où nous sommes particulièrement fragiles : « Il pleure beaucoup. Peut-être que ton lait n’est pas assez nourrissant ? », « De mon temps nous ne prenions pas trop les bébés dans les bras pour ne pas créer de mauvaises habitudes », «J’ai l’impression qu’il passe sa journée au sein. ». Sans s’en rendre compte, nos proches peuvent projeter leur frustration venant des difficultés de leurs propres allaitements ou des méconnaissances qui leur ont été véhiculées. De manière générale, votre entourage proche vous veut du bien mais ne vous fait pas toujours du bien.
Quelle est la différence entre l’accompagnement par un groupe de soutien et par une consultante en lactation IBCLC ?
Les groupes de soutien ont pour but de guider les mères dans leur projet d’allaitement en essayant de résoudre des difficultés communes. Les bénévoles qui animent ces groupes sont des mères allaitantes qui ont bénéficiées d’une formation. Lors de mon allaitement, j’ai moi-même pu profiter à plusieurs reprises d’un soutien de la part de bénévoles bienveillantes et rassurantes. Ces échanges, étant restés proches de mon cœur, m’ont motivés à devenir bénévole, dans un premier temps, et ensuite professionnelle.
Actuellement, en tant que professionnelle, je co-anime un groupe de soutien à l’allaitement une fois par mois avec d’autres professionnelles au sein d’A3N4, une super association de soutien à la perinatalité basée à Issy-les-Moulineaux (92). Nous accueillons jusqu’à 12 mamans avec leurs bébés, et parfois des papas et des grands-parents. Notre souhait est que tout le monde puisse partager son vécu d’allaitement et puisse poser ses questions sur des sujets variés (prise de poids, douleurs, reprise de travail…). Mes collègues et moi essayons de fournir des informations concises et de proposer des éventuelles pistes à explorer en cas de problème.
Toutefois, le temps nous manque pour approfondir notre soutien. Si vous ne trouvez pas la réponse à vos questions pendant ces réunions ou si vous avez quelconque problème spécifique, il pourrait être intéressant de prendre rendez-vous avec une consultante en lactation. En effet, cette consultation est individualisée et spécifique à vous et à votre bébé. Pour vous donner une idée, parmi les sujets de mes dernières consultations, vous trouverez : relactation, reflux, allaitement avec des allergies, freins de langue restrictifs, préparation à l’allaitement en prénatal, douleur des seins, bébé prématuré, refus du biberon, transition entre le sein et le biberon, l’allaitement de jumeaux, diminution des dons de compléments pour un retour à l’allaitement exclusif, prise de poids insuffisante.
Comment se déroule une consultation d’allaitement ?
La consultation d’allaitement, dure entre une heure et demie et deux heures et se passe chez vous. Je considère qu’il est toujours intéressant que vous vous appropriez les gestes que je vous montre dans votre propre environnement pour pouvoir ainsi les reproduire plus facilement par la suite. Pour commencer, je tiens tout d’abord à vous écouter et à échanger sur votre parcours d’allaitement. J’observerai ensuite une tétée complète pour apprécier comment tète votre bébé. Finalement, je vous proposerai un plan d’action en rapport avec le motif de la consultation. Vous pourrez, bien évidemment, revenir vers moi par la suite à tout moment.
Que retenir ?
Il existe une richesse de possibilités pour se faire accompagner dans son projet d’allaitement : les consultantes en lactation certifiées IBCLC, notre entourage, les professionnels de santé et les réunions de groupes de mères. N’hésitez pas à naviguer entre ces différentes options selon votre situation et vos préférences.
© 2020 Margaret Dickason-Clar, Consultante en lactation IBCLC
Edité par Julie Clar
Références
1 IBCLC veut dire : consultante en lactation certifiée par le comité international d'après l'acronyme anglais : International Board Certified Lactation Consultant.
2 World Breastfeeding Trends Initiative : un audit des politiques d'allaitement en France. Voyez : le rapport WBTi France 2017.
3 Ibid. p.63.
4 A3N : acceuil et accompagnement autour de la naissance
Cas clinique :
Un désir de sevrage qui révèle un problème d’oralité
Mme C. me contacte pour l’accompagner dans le sevrage de son deuxième enfant de 3 mois, Clémence. Cette maman a déjà essayé de proposer des biberons de lait artificiel à sa fille, mais celle-ci ne les veut pas. Elle voudrait alors échanger sur les solutions possibles. Le désir de sevrage de Mme C. va mettre en évidence un problème de succion de son bébé qui va l’éloigner, momentanément, du sevrage désiré.
En consultation, Mme. C me raconte qu’elle ne supporte plus le rythme imposé par son allaitement. En effet, son bébé tète tout le temps, jour et nuit, parfois toutes les heures, et cette maman se sent épuisée. Elle aimerait donner un biberon de lait artificiel à la place du sein. De plus, les commentaires désobligeants et peu constructifs de son entourage l’agacent : le pédiatre lui dit qu’il faut compléter son bébé parce que ce dernier à une faible prise de poids, sa famille lui dit que Clémence pleure parce qu’elle a faim, même si cette dernière est accrochée au sein jour et nuit.
Clémence est née à 3,095 kilos. A 3 mois elle pèse 4,860 kilos, un poids bien en dessous de ce qu’on attend pour un bébé exclusivement allaité. J’observe que le bébé a une hyper salivation et la mère me dit qu’elle pense que son bébé est en train de faire ses dents. Je regarde la bouche de Clémence et remarque un frein de langue postérieur charnu. Je m’aperçois que Clémence n’arrive à bouger que la pointe de sa langue alors que le reste de celle-ci est immobile. J’observe une tétée et je vois que la prise de sein est peu profonde. La mère n’a pas mal et j’entends le bébé déglutir mais cela ne dure pas. Je vois avec la mère pour les alternatives au biberon car ce bébé a besoin d’être complété mais n’accepte pas les biberons. Je lui montre le DAL1, que nous testons aussi bien au sein qu’au doigt, et Clémence le rejette également. Les parents finissent par compléter Clémence - avec grande difficulté - à la seringue.
Face à ces difficultés, je propose à la mère d’attendre de sevrer Clémence du sein, puisque c’est pour l’instant sa seule source d’alimentation et je lui suggère plusieurs pistes :
• consulter un ORL spécialisé dans les freins de langue restrictifs pour envisager la section du frein et aider la langue à retrouver plus de fonctionnalité,
• rencontrer un ostéopathe qui a l’habitude des nouveau-nés pour vérifier que le nerf grand hypoglosse n’est pas comprimé et n’empêche pas les mouvements corrects de la langue. En plus du frein de langue restrictif, cette piste pourrait expliquer l’hyper salivation et les difficultés de Clémence pour gérer sa succion,
• compléter Clémence,
• faire des séances de tire-lait après les tétées afin de stimuler la production de lait, puisque ce n’est qu’au sein que Clémence arrive à se nourrir calmement même si elle n’est pas très efficace.
La mère est très motivée pour arriver à faire évoluer la situation et accepte mes suggestions. Au fil des semaines suivantes, les parents explorent également différentes autres pistes :
• Un ORL spécialisé intervient sur le frein de langue de Clémence et la mère sent immédiatement un changement dans la prise de sein mais cette sensation ne dure pas.
• Sur la recommandation du pédiatre, la mère consulte un gastro-pédiatre qui diagnostique un trouble de l’oralité. Celui-ci propose plusieurs choses dont des exercices oraux pour l’aider à mieux utiliser sa langue mais ses suggestions n’améliorent pas la situation.
• Elle consulte un troisième ostéopathe qui confirme mon observation que le nerf crânien, le grand hypoglosse, est très probablement comprimé. Cet ostéopathe arrive enfin à améliorer un peu la situation de Clémence qui commence désormais à faire des mouvements latéraux avec sa langue.
• Après avoir fait des recherches sur internet, le père de Clémence se demande si Clémence n'a pas le syndrome de KISS2. Les parents consultent un centre spécialisé dans ce syndrome qui confirme ce diagnostic et Clémence est prise en charge rapidement.
Clémence a présenté un ensemble de symptômes qui ont participé aux perturbations fonctionnelles. Elle a pu profiter d’une prise en charge multidisciplinaire pour y remédier ainsi que de parents tenaces et courageux. Une fois le cadran cervical débloqué (ce qui comprimait le nerf crânien), l'allaitement se met enfin à marcher : plus besoin de tire-lait pour stimuler la production de lait. Tout commence à rentrer dans l’ordre pour ce bébé et sa mère. Par la suite, à 7 mois, Mme. C a pu sevrer tout en douceur sa fille et, actuellement, Clémence est diversifiée et boit du lait au verre ou à la paille et commence doucement à accepter les biberons.
Avec mes remerciements chaleureux à la mère de Clémence pour sa collaboration.
Crédit photo : Mme. C.
© 2020 Margaret Dickason-Clar, Consultante en lactation IBCLC
Références
1 DAL = Dispositif d’aide à la lactation
2 KISS : Kopfgelenk-Induzierte Symmetrie-Störung. Ce syndrôme désigne les perturbations de symétrie induites par les articulations de la jonction crânio-cervicale. Il était autrefois connu sous le nom de « blocage de l’atlas » et a été décrit pour la première fois en 1953 par le Dr. Gottfried Gutmann.
Les pères et l'allaitement
Les études nous confirment l’importance du soutien du père dans la mise en place et la poursuite de l’allaitement. En parallèle, depuis quelques décennies, on voit émerger un « nouveau père », bien plus impliqué avec son nouveau-né que ceux des générations précédentes. De plus, le congé de paternité en France vient de s’allonger, peut-être en reconnaissance de cette évolution.
Seulement, voilà, si les anciens modèles paternels sont devenus obsolètes, il manque encore de nouveaux modèles sur lesquels les pères peuvent ancrer la construction de leur paternité (peut-être un peu comme l’allaitement pour la mère : un manque de modèle de femme allaitante dans une culture où le biberon est encore omniprésent). Le père doit souvent trouver ses marques tout seul, car peu d’hommes trouvent un réel soutien émotionnel pour le bouleversement qu’ils traversent en devenant père. De plus, peu d’hommes se renseignent sur l’allaitement en prénatal.
Les connaissances et représentations des pères autour de l’allaitement
Par manque d’information sur l’allaitement en prénatal, les pères n’ont pas l’occasion de confronter leurs idées reçues aux connaissances et pratiques actuelles. Souvent, aussi, leurs références restent l’alimentation au biberon, ce qui n’est pas étonnant face aux publicités omniprésentes laissant croire que le biberon est la norme, ou du moins, à égalité avec l’allaitement. Ainsi, les pères comparent souvent les bébés allaités aux enfants non-allaités. Typiquement, ils pensent que l’allaitement :
- fatigue la mère
- abîme les seins
- empêche la prise d’autonomie du bébé (au-delà de 6 mois)
- n’est pas possible pour toutes les femmes
- est difficile en travaillant
- manque de contrôlabilité (quantités et qualité de lait)[1]
S’il était mieux informé, le père pourrait mieux accompagner et aider sa compagne. Par exemple, l’inquiétude sur la contrôlabilité des quantités bues, « savoir que la quantité de lait bue est reflétée dans le nombre de selles et la quantité de couches mouillées leur (donne) un outil de mesure. »[2]
Le père qui veut donner un biberon
Certains pères considèrent l’allaitement comme si gratifiant dans la relation mère-bébé qu’ils veulent alors participer pleinement en nourrissant leur bébé, eux aussi, avec un biberon. On voit, en conséquence, la conjointe qui, dès la grossesse, envisage un allaitement mixte où elle allaitera une partie du temps et le père donnera un biberon de lait artificiel le reste du temps. Si la mère met en place un allaitement mixte pour inclure le père -alors qu’elle aurait préféré un allaitement exclusif - ceci peut compromettre son projet d’allaitement par manque de stimulation de la lactation.
Autre scénario : le père qui donne un biberon la nuit pour « laisser dormir » la mère. C’est un geste bien intentionné envers la mère qui, de plus, aide le père à se sentir utile. Cependant, il est fort probable que la mère se réveille de toute façon au moment de la tétée puisque, si l’allaitement se passe bien, les phases de sommeil de la mère sont synchronisées avec celles de son bébé. De plus, elle ne pourra pas vider ses seins si le papa donne un biberon et pour certaines femmes, le fait de manquer une tétée peut les mettre à risque d’engorgement dans les heures qui suivent.
Ce qui est si gratifiant et qui contribue au fort lien mère-bébé dans l’allaitement finalement, c’est le contact physique et répété avec le bébé[3]. Le père peut envier ce lien, mais il peut également avoir ce contact physique avec son bébé, et différemment à travers change, bain, portage, bercements, massages etc. Il n’est pas « une mère bis »[4] et a son propre rôle à jouer, indépendamment du rôle nourricier.
La dualité allaitement/biberon se révèle quand le père se sent frustré par l’allaitement. En conséquence, quand les pères ne trouvent pas leur place avec l’allaitement, il est facile de croire que le biberon est une solution. En réalité, c’est l’allaitement dans une culture du biberon qui peut être frustrant[5].
La sexualité et l’allaitement
Dans le passé, l’Église interdisait les rapports sexuels pendant l’allaitement, ce qui motivait les pères pour organiser la mise en nourrice de leur bébé au plus tôt pour « libérer » leur épouse. Cependant, Église ou pas, les repères sexuels des couples d’avant bébé se voient éclatés et souvent réduits à néant à l’arrivée de ce dernier. Habituellement, pendant les premiers mois post-partum la mère a besoin de « réapprivoiser sa géographie intime »[6] et d’être plus « contenue que pénétrée »[7] d’autant plus que l’allaitement peut induire une sécheresse vaginale due au climat hormonal. Le père, pendant ce temps, peut vivre cette situation comme une « exclusion de sa personne »[8] Pour Ingrid Bayot, si le couple intériorise des pressions normatives de la sexualité (reprise complète et rapide des relations sexuelles avec une obligation de performance), il peut se sentir en échec pendant cette période.
Le couple a besoin de temps et d’échanges pour construire une nouvelle intimité. En effet, il sera important de
- nommer et écouter les inquiétudes de chacun par rapport à la sexualité
- trouver des moments d’intimité quand le bébé dormira
Le rôle du père dans l’allaitement
Le rôle du père est de protéger la dyade mère-bébé : il filtre les appels et les visiteurs, berce le bébé après la tétée pour que la maman puisse récupérer, nourrit la mère qui nourrit le bébé et pleins d’autres activités encore. Ceci peut nous paraître une évidence mais - comme pour la maman - tout est nouveau. Dans l’idéal, il va construire sa place avec son bébé sans empiéter sur le terrain de la mère. Ainsi, Docteur Alain Benoît, Pédiatre[9], propose que le père se positionne comme le « compagnon de route » de la mère qui allaite.
Références
[1] Teuma I. L’allaitement, concerne-t-il les hommes ? Le rôle de la consultante en lactation auprès du père ? Mémoire pour l’obtention du diplôme de Consultante en lactation IBCLC. p. 26, Crefam 2009.
[2] Idem. p.33.
[3] https://www.claude-didierjean-jouveau.fr/2017/01/21/lallaitement-exclut-peres/. (Consulté le 24 août 2022)
[4] Bayot I. Le quatrième trimestre de la grossesse. Erès ; 2018. p.213.
[5] Teuma I. Résumé du mémoire Base documentaire du CREFAM. P.5. http://www.crefam.com/memoires.php (Consulté le 25 août 2022)
[6] Bayot I. Le quatrième trimestre de la grossesse. Erès ; 2018. p.230.
[7] Idem. p.231.
[8] Idem. p.232.
[9] Benoît A. Allaiter pour les hommes : un rôle indispensable dans le soutien au lien lacté mère-bébé. https://www.exbrayat-psychologue.fr/?page_id=1381 (Consulté le 24 août 2022)
© 2023 Margaret Dickason-Clar, Consultante en lactation IBCLC